• MON BEAU SAPIN

    La grande table est mise.
    Mamie a une nouvelle fois sorti sa plus belle argenterie.
    Quatre assiettes aux contours dorés, et de tailles différentes sont empilées devant chaque chaise.
    Il y a douze chaises.
    Quarante-huit assiettes aux contours dorés. Pour chaque assiette, un lot de deux couverts.
    Quatre-vingt-seize couverts au total.
    Tout un héritage de famille.
    Des serviettes couleur bordeaux sont soigneusement pliées dans chaque verre à eau.
    Un grand chandelier est posé au centre de la table, sur une nappe gris foncé, parsemée de morceaux de papier plastifié argent et or, en forme d’étoile et de sapin.
    Quelques récipients ici et là garnis des restes des chocolats de Pâques.
    Est-ce qu’il s’agit réellement des restes ? En tout cas, ce sont les même. Des chocolats en forme de poissons et de crustacés. Chocolat blanc. Chocolat noir. Chocolat au lait.
    Bientôt viendront les rejoindre les Apéricubes, et tout le monde éparpillera les emballages pendant que Grand Papy s’enflammera encore une fois sur la politique et sur la société de consommation.

    On va servir les coquilles Saint Jacques.
    Mangez pendant que c’est chaud.

    Et lui, il sera là, immobile, dans son coin.
    Le Roi de la soirée.
    Des anges se sont pendus à ses branches, aux cotés de quelques yeux épinglés sur le bois mort.
    Des intestins de chèvre et de cochon sont enroulés autour de lui.
    Il saigne, le sapin.
    Mon beau sapin.
    Au pied du Roi, un tas de paquet. Une trentaine de présents amoncelés, emballés dans de la peau humaine, et enrubannés par des vers.
    De part en part des branches, des grappes de dents reliées par un fil de fer s’entrechoquent parfois au gré des passages, et laissent entendre le doux grincement dentaire de dizaines d’enfants.

    On va servir les escargots.
    Mangez pendant que c’est chaud.

    Cette année on ne fait pas le choses à moitié.
    Pas un sapin artificiel de mes deux.
    Un vrai, dans son pot, baignant dans du sang qui n’a pas coagulé, dans lequel se noient des figurines de bergers, de mages, d’ânes et un bébé.
    Il saigne, le sapin.
    Mon beau sapin.
    On jurerait voir des veines palpitantes sur son tronc.
    Toutes ses branches sont des artères suintantes.
    Des canaux sanguins reliées à des minuscules cœurs atrophiés.
    Douze, précisément.
    Ah non, treize.
    Le fils ainé n’est pas venu seul cette année.
    La tête de son amie est perchée sur la cime.

    Elle nous fixe.

    On va servir la biche aux flageolets.
    Mangez pendant que c’est chaud.

    Elle nous fixe toujours.
    Tant qu’elle ferme sa gueule…

     


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